ART & PRISON : Témoignage


Témoignage : Ateliers d'arts plastiques à la Maison d'Arrêt de Tulle

Par Mme Lacroix-Afonso

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            Enseignante en arts plastiques au collège de Seilhac, j’ai, par volonté personnelle, proposé ma candidature pour ouvrir un atelier d’arts plastiques à la maison d’arrêt de TULLE. Celui-ci a été effectivement ouvert en mai 2003.

Présentation des conditions matérielles :

 

Le lieu, la durée :

L’atelier a lieu, de 14h à 16h, une fois par semaine, dans une salle d’environ 20 m2. Cette surface correspond à deux cellules dont on a abattu le mur mitoyen. Il y loge sept tables d’école de deux places chacune.

En cas d’annulation de l’atelier pour des raisons personnelles ou professionnelles, les détenus en sont avisés par affichage et je m’arrange pour les prévenir une semaine à l’avance de vive voix, ce qui à une réelle importance pour eux. Selon leurs propres paroles, cela témoigne d’un réel respect à leur égard et évite des déceptions de dernière minute.

 Ma présence hors période scolaire, lorsque je le peux, participe aussi à la naissance sentiment que l’on est là pour eux et non pour un intérêt purement financier.

 

Le nombre de détenus, les conditions d’accès et l’assiduité :

Le nombre de détenus présents a été fixé au départ en fonction de l’espace disponible à dix. Mais il s’avère, dans les faits, que huit est vraiment la limite maximale, tant pour des raisons d’espace que pour des raisons de temps et de disponibilité de l’intervenant permettant un travail vraiment efficace avec chaque détenu.

Les détenus sont acceptés à l’atelier lorsqu’ils en ont fait la demande auprès du chef d’établissement ou de l’auxiliaire de justice, afin d’éviter d’éventuelles cohabitations qui pourraient poser problème. Ce sujet me dépasse, et je n’en suis nullement informée. Par contre, si, à la suite d’éventuelle disfonctionnements (vol de matériel, refus de travail, refus d’écoute, manque de respect envers moi, ou un autre détenu…), le discours de rappel à l’ordre s’avère ne porter aucun fruit, alors je peux demander l’exclusion du détenu de l’atelier d’arts plastiques. Je n’ai du en arriver à cette extrémité qu’une seule fois, le détenu ayant été par ailleurs privé de toutes les autres activités pour les même raisons.

Lorsqu’un détenu n’a pas une présence régulière à l’atelier, son nom est supprimé de la liste afin que ceux qui sont sur liste d’attente puissent prendre sa place. La liste est revue régulièrement par l’auxiliaire de justice, en fonction des départs, des arrivées et de l’assiduité de chacun.

En moyenne le nombre de détenu présent est de cinq, ce qui est un chiffre très confortable permettant un vrai travail de fond. Au-delà il faut jongler avec les différents niveaux d’autonomie de chacun, et en deçà de deux, le cours n’a pas lieu pour raison de sécurité (cas rare rencontré une fois, lors de la coupe du monde de foot ! Dure concurrence !). L’assiduité est généralement dictée par le moral des détenus, la concurrence avec d’autres ateliers ou avec les horaires de parloir, et la météo : voir le ciel bleu et prendre l’air devient parfois plus important que de venir s’exprimer. Les détenus les plus motivés (3 ou 4 en moyenne, sont systématiquement là, sauf s’ils ont un parloir bien sûr).

 

Le matériel disponible :

Dés mon arrivée il m’a été signalé que mes listes de matériel devraient être soumises au chef de détention pour un accord lié aux conditions de sécurité. J’ai ainsi appris que certaines peintures pouvaient être détournées à des fins que je n’aurais jamais imaginées ! Le travail du volume et toute matière malléable, ont été proscrits pour des raisons similaires.

Le matériel financé par l’association d’aide aux détenus se résume donc aujourd’hui à quelques tubes de peinture (gouache, aquarelle ou acrylique) quelques pinceaux, des craies grasses ou sèches, des crayons de couleurs aquarellables ou non, quelques feutres, crayons à papier, taille crayons et gommes, et enfin le papier. Toute autre entreprise devient plus compliquée. J’en veux pour exemple l’activité du photomontage par association d’images découpées dans des magazines et collées entre elles. Il faut alors rentrer avec un nombre de ciseaux précis qui est recompté à la sortie. La nécessité d’une sécurité maximale pour tous et les conditions particulières de la maison d’arrêt de Tulle expliquent ces opérations de contrôle fastidieuses. Peut-être pourrait-on suggérer une plus grande clarté dans les motifs de restriction ? Par exemple : Les cutters sont interdits, soit, mais les détenus ont des rasoirs en cellule, il s’agit peut-être d’une question de longueur de lames ? Des outils de substitution pourraient alors être acceptés. Pourrait-on créer une liste de matériel autorisé, afin d’unifier les prisons sur le sujet, car bon nombre de détenus ont du mal à me croire quand je dis non, sachant qu’ils ont eu accès dans telle ou telle autre prison à du matériel interdit ici. Or il m’est difficile d’imposer ma position si je ne peux l’expliquer. Il me semble qu’il en va de la crédibilité de l’institution judiciaire et des règles qu’elle impose et tente de faire accepter. Mon rôle est aussi régulièrement de faire un rappel au respect de certaines règles et ici comme hors les murs une règle n’est acceptable que lorsqu’elle est justifiée et expliquée, me semble-t-il. Bien entendu, il va de soit que je dois de mon côté faire une démarche de recherche d’information et que je ne l’ai pas toujours effectuée correctement faute de temps. Un support réunissant ces informations me serait très utile, mais un tel outil n’existe pas m’a-t-on signalé.

            S’avoir s’adapter, faire des miracles avec de petits riens, c’est le propre des arts plastiques aussi n’est-ce pas un handicap d’importance. J’explique aux détenus que dans les disciplines artistiques, c’est de la contrainte que naît la création !

 

Contenus efficients, erreurs et remises en cause :

« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. »

Article 27 de la déclaration des droits de l’homme du 10 décembre 1948

Une culture commune qui nous unit :

La loi du 29 juillet 1998 qui vise à lutter contre les exclusions stipule au chapitre V article 140 le droit à la culture pour tous, y compris pour les hommes et les femmes qui sont en prison.

Alors, s’il fallait un jour en arriver là pour justifier la présence de le culture dans les murs de la prison, nous pourrions toujours faire appel à la loi. Mais j’espère que celle-ci se sera imposée d’elle-même par la force du lien social qu’elle crée et que quelques soient les restrictions budgétaires, elle apparaîtra comme le dernier rempart contre l’exclusion définitive par la société de ses individus les plus marginaux. Vivre à la marge c’est une démarche qui peut être volontaire et intellectuelle, c’est bien souvent celle de l’artiste et cela ne fait pas pour autant de lui un individu nuisible pour les autres bien au contraire. Faire admettre aux détenus qu’avoir une position particulière est un droit qui peut être respecté dans la mesure où il ne nuit pas à autrui est pour moi une manière de signifier que je reconnais leur individualité tout en martelant aussi souvent que possible que l’individu dépend de la société dans laquelle il vit et doit, à ce titre, dans son propre intérêt, comme dans celui de tous, la respecter.

La culture, étant reconnue comme le propre de l’homme, lutter pour la culture, c’est lutter contre la déshumanisation de l’individu.

-         L’aider à s’inscrire dans une société lorsqu’il s’en sent exclu, justement parce qu’il ne se reconnaît pas dans ce qui la définit : sa culture.

-         Permettre de retrouver des repères dans la société pour se définir comme appartenant à cette culture commune.

 Voici deux beaux challenges à relever dans lesquels les arts plastiques s’inscrivent pleinement.

 

Aussi l’une de mes premières démarches a-t-elle été de ramener systématiquement des documents : livres d’arts, revues sur l’actualité artistique du moment, cassettes vidéos d’analyse d’œuvres ou de témoignages d’artistes, afin que petit à petit chacun découvre sa propre personnalité artistique, en définissant un peu mieux ses goûts et dégoûts, en se laissant la possibilité de changer d’avis, d’évoluer avec le temps et la connaissance qui s’étoffe. Tout en étoffant sa culture se sentir revalorisé, apprendre à se connaître mieux, réfléchir à son image au travers de celle que renvoient les artistes de toutes catégories, pour pouvoir se donner une chance de changer en développant son ouverture d’esprit.

 

Une culture individuelle qui nous définit:

Car enfin, un atelier d’arts plastiques ne serait pas un atelier s’il ne laisser libre cours à la création. Qui dit expression artistique, dit « exprimer » ou mieux dans le cadre qui est le notre « s’exprimer ». Or comment oser s’exprimer quand on se dit minable, nul… ?

Comment se redéfinir, au travers de ses goûts, se reconnaître comme appartenant à une culture commune, mais aussi comme étant un individu unique à part entière digne de respect si l’on se juge comme indigne de ce respect et sans valeur ?

Commencer par reconnaître sa singularité, l’accepter et l’exprimer au travers d’un moyen d’expression constructif et non destructeur, afin de donner sa vision de la société à laquelle on appartient, ce qui est l’un des grands défis de l’artiste qu’il soit petit ou grand. L’atelier d’arts plastiques est un espace d’expression sans danger, où les violences peuvent se muer en gestes créatifs. Autant d’agressivité contre soi ou contre les autres qui ne finira pas en geste gratuit, mais qui permet une prise de conscience de soi, de sa valeur, de la possibilité d’un dépassement de soi positif.

Réfléchir à son image, se définir ou se redéfinir selon les cas, se donner une chance d’évoluer, de changer, et l’exprimer dans une démarche constructive et valable pour tous surtout dans une période propice à la remise en cause telle que l’est la prison, une démarche sans fin « la vieille ne veut jamais mourir, elle veut toujours apprendre » dit la sagesse populaire.

C’est aussi une grande école de tolérance si l’on y évite la tendance égocentrique. Si je veux que l’on accepte et respect ma singularité, je dois moi aussi à mon tour accepter celle des autres. Passer ainsi quelques heures dans un groupe, certes restreint, mais où chacun possède une forte personnalité, et où l’activité proposée vise à mettre en avant vos particularités oblige à accepter l’autre dans sa différence pour y être soi-même accepté.

 

Les actes concrets, premières erreurs et remises en cause :

Forte de ces belles utopies, je me voyais déjà, proposant des thèmes de travail sur des sujets touchants de prés les détenus, sorte d’incitations à partir desquelles chacun pourrait s’exprimer à sa guise tout en développant son savoir faire. Mais le premier choc fut rapide, la thématique refusée en bloc, et je les comprends aujourd’hui ! « prison imaginaire » Comment ai-je pu proposer une chose pareille. De plus les détenus ne sont pas des élèves et ils vous renvoient crûment votre réalité. Certains ont tout de même accepté le sujet par gentillesse ou par facilité, puisque j’ai dit aux autres de me faire eux même des propositions afin que je puisse voir quels étaient leurs centres d’intérêt, leurs attentes.

J’ai un temps imposé à chacun un travail commun, en laissant la possibilité de me faire des propositions par la suite. Cela m’a permis par le biais de cette contrainte d’amener certains irréductibles du tag par exemple à se poser des questions comme : en quoi le tag peut-il être un autoportrait ? Et de réfléchir plus généralement avec le reste du groupe sur ce qu’était devenu le classique autoportrait dans l’art contemporain. Mais il est rapidement devenu évident que le public avec lequel je devais composer se braquait face aux contraintes et que le mot d’ordre devait être : s’adapter pour amener à… Plutôt que d’imposer.

 

Chacun commence donc par définir ses goût et ses projets de travaux, puis, petit à petit j’essaie de les amener à sortir de leurs habitudes en détruisant un  à un les a priori, les faux postulats, en les obligeant dans l’intérêt de tel ou tel projet, ou rassurés par la réussite spectaculaire d’un de leur camarades, à employer de nouvelles techniques, à s’ouvrir à de nouvelles thématiques, à passer de la reproduction à la création… Cela possède l’immense avantage de régler le problème des différences de personnalités, de niveaux techniques, d’attente, d’autonomie, de désir de liberté, de blocages face à la feuille ou encore d’ouverture d’esprit. Car l’une des difficultés reste la grande hétérogénéité des publics rencontrés à laquelle vient s’ajouter l’irrégularité de leur présence et de la durée des séjours.

 

Le but étant toujours de favoriser l’acte identitaire, l’expression de soi, quitte à prendre pour cela les chemins détournés de la diplomatie : ne pas brusquer et risquer de braquer, mais convaincre devient alors mon mot d’ordre. C’est ainsi que l’un des champions du tag comprenant l’intérêt de maîtriser les mélanges de couleurs, est passé pour cela du feutre à la peinture, et a fini par me faire des soleils couchants à la Turner. Une victoire rare mais au combien précieuse pour moi autant que pour lui je l’espère. En réfléchissant ainsi, le détenu gagne une meilleure conscience de ses actes et de leur portée.

impris1.jpgEn arts plastiques, tout fait sens, rien n’est anodin, rien n’est du à la fatalité !...On est seul responsable de ses actes, face à ses échecs et à ses réussites. Les qualités telles que la persévérances, la rigueur dans l’exécution, placer la réflexion avant l’action, prendre conscience de la portée de chacun de ses choix…portent instantanément leurs fruits. Il y a là, pour qui sait le saisir, un message fort, même au-delà de l’atelier me semble-t-il.

 

Les circonstances qui favorisent les prises de conscience :

 

Portrait de la petite amie de l’un des détenus de l’atelier

 

Le lien extérieur intérieur :

 

Certains ont perdu tellement de confiance en eux, ont une image tellement dégradée, qu’il faut en revenir à de toutes petites choses pour que chaque pas en avant soit une victoire encourageante. Plutôt que de sauter le mur d’un bon franchissons donc les barreaux de l’échelle un à un. Au bout du compte le résultat est le même : le mur est franchi. Chaque reconnaissance de ma part de ces pas en avant a une portée que je n’imaginais pas pouvoir avoir. Alors que dire de la joie dans leurs yeux quand ils me demandent si j’accepte qu’ils emportent leur travail pour pouvoir le montrer et le donner au parloir, ou tout simplement l’envoyer ? La sentiment qu’ils ont des qualités reconnues, la fierté du travail accompli, du dépassement de soi dans un domaine où ils ne se sentaient pas forcément capable de faire des miracles… Tout ceci contribue à redonner à ces hommes une meilleure image d’eux même et, par la volonté qu’ils ont d’en faire profiter leurs familles, de maintenir un lien positif entre l’intérieur et l’extérieur. Autant de petits cadeaux peu onéreux, mais à la valeur symbolique inégalable. La joie d’un papa me faisant lire une lettre de sa petite fille lui demandant un nouveau dessin pour sa chambre ne peut se retranscrire ici, seulement se laisser deviner.

 

 

Au regard de ce que je viens d’écrire, que dire alors de la portée de l’exposition qui a été organisée en mai 2004 ? D’abords très réticents, les détenus ont un à un accepté de participer, pour me faire plaisir selon eux. Mais cela cachait mal un défit lancer à eux même. Une façon de chercher la réponse à la question qu’ils m’ont tous posée : « qu’est-ce que vous voulez que ça intéresse les gens ce qu’on peut foutre en prison ? ». Ils se sont d’abord pris au jeu du concours d’affiche, puis certains qui devaient sortir m’ont confié leurs travaux avec adresse jointe, charge à moi de les leur renvoyer, comme une dernière vérification de mon intégrité : « Pour voir si vous tiendrez votre promesse ! ».

Le succès des petites expositions dans la maison des familles et le retour qu’ils en avait m’était souvent rapporté avec fierté ; mais là, une exposition extérieure, avec des officiels, et un public sans lien direct avec la prison, et ce, preuve photo et articles de journaux à l’appui, a été pour eux comme une forme de reconnaissance collective, une façon de dire : la société dans son ensemble, ne vous rejette pas, mais vous reconnaît au contraire des qualités bien réelles. L’effet de cette reconnaissance collective sur l’estime de soi a alors été tellement criant que j’aurai voulu pouvoir en garder une trace tangible gravée dans le marbre friable des murs de la prison. Jusque là j’avais eu beau leur dire que leur travail était de qualité, ils me soupçonnaient toujours un peu de chercher à les réconforter. Mais là, c’était autre chose, une véritable authentification extérieure de leur valeur.

 

Pourtant une telle exposition, les démarches préalables quelles nécessite le temps de mise en place, la disponibilité pour la communication… tout ceci n’aurait pu avoir lieu sans l’aide plus que précieuse : indispensable de l’auxiliaire de justice, pourtant simple emploi jeune et donc sur un siège éjectable ! A méditer sérieusement ! Il en va de même pour l’achat du matériel, la gestion des listes… Je ne pourrais assumer ces taches à sa place quand elle sera partie. Mon travail au collège, ne me permet pas cette disponibilité.

 

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Carton d’invitation à l’exposition réalisé à partir de l’affiche de l’un des détenu de l’atelier

 

La responsabilisation de chacun :

 La gestion du matériel joue aussi son rôle. S’il disparaît, il n’y en a plus, tout le monde est pénalisé. Je prête si on me rend, sinon, je ne prête plus. Tous aident à ranger ou à déballer pour gagner du temps… Je suis responsable de moi et de mes actes dépendent l’attitude des autres à mon égard – et – mon confort dépend de la volonté du reste du groupe à m’inclure ou à m’exclure. Dans un milieu infantilisant, redonner à chacun quelques responsabilités aux conséquences mesurables permet de mettre en évidence de manière immédiate le lien entre acte et sanction, et le fait que cette sanction est parfois une auto pénalisation !

Enfin, les règles que j’ai expliquées, mais imposées, sont pour moi l’occasion de rappeler à chacun instant que même dans une mini société qu’est le « groupe atelier », nous sommes tous dépendants les uns des autres pour que tout se passe bien, et on ne peut se conduire ici dans un cours à huit comme on le ferait seul dans sa cellule. Ainsi un certain niveau sonore, une prise de parole à tour de rôle, un partage de mon temps de disponibilité fixé sur les différences de niveau d’autonomie de chacun, une écoute attentive pour mes interventions même si cela ne les passionne pas, se doivent d’être respectés par respect pour tous.

 

L’atelier est aussi un lieu où se tissent des liens autres que crapuleux ou criminels, certains qui sont déjà passés par des étapes d’apprentissage me secondent volontiers et parfois avant même que je n’ai eu le temps de dire quoi que ce soit. Une manière de montrer son savoir faire fraîchement acquis, et ce avec une efficacité meilleure que la mienne puisque le détenu professeur a lui-même su dépasser ces difficultés. Il est donc à même de guider son codétenu en lui indiquant la meilleure voie à suivre pour y parvenir.

Cette démarche volontaire que je n’avais ni prévue, ni anticipée, me paraît un excellent moyen de valoriser les acquis des uns tout en aidant les autres. Une première étape de resocialisations pour certains qui se tiennent à l’écart du groupe.

 

Le rôle de l’intervenante :

 Il me semble que l’absence totale de crainte que j’aie avec les détenus relève du respect que je leur accorde, et qu’ils me rendent. Aucun jugement de ma part même lorsqu’ils me parlent de leur vécu. Car le lieu de l’atelier devient aussi, parce qu’on s’y exprime, un lieu de parole. C’est là que se situe le plus délicat à gérer pour moi. Maintenir une position impartiale, un devoir de réserve mais aussi de réponse face à des prises de positions que je me sens comme un devoir de contrer. L’évolution de ces discutions, même si elles sont annexes par rapport au travail de l’atelier, m’apparaît comme presque aussi importante que l’activité elle même. Quand un détenu me dit que toutes les femmes devraient rester à la maison et obéir, je réponds « OK, je ne viens plus la semaine prochaine ! » - « Non, mais vous c’est pas pareil ! » - « Je ne suis pas une femme alors ? »…

L’intervenant se doit à un devoir d’exemplarité, tout au moins dans les murs. Et dieu sait s’ils cherchent à nous tester tant cette position peut leur paraître surnaturelle. « Non, mais tu peux y aller ! Elle est cent pour cent honnête ! T’arriveras pas à l’avoir ! » ai-je entendu un jour, ce qui fait ma grande fierté. Car il en faut de la vigilance et de la volonté pour leur tenir tête !

Engagement, respect, éthique irréprochable, devoir d’exemplarité, certes, mais il y a parfois aussi nécessité d’un droit à l’erreur et il y en a eu aussi : photocopies rentrées sans demandes d’autorisation par ignorance, détenu trop familier dans ses propos qu’il faut remettre en place, matériel qui disparaît malgré la vigilance et dont on ne peut repérer la trace…

Nul n’est parfait, je tente de faire de mon mieux et j’espère que c’est déjà un pas en avant qui peut compter pour les quelques détenus que j’ai la chance de côtoyer. Aussi vais-je leur laisser la parole.

Conclusion :

Parole de détenus :

 

impris3.jpgLorsque j’ai appris que je devais faire ce rapport je leur ai demandé si certains accepteraient de m’aider à faire mon autocritique. Les deux plus anciens de l’atelier m’ont alors écrit ceci :

 

« Quand je viens à l’atelier j’oublie les murs, c’est un atelier comme si on était dehors. »

Ou encore :

 

 

 

Pour ces deux personnages là, la durée de la peine et l’intérêt qu’ils portent à tout ce qui leur est proposer en fera très certainement une élite intellectuelle porteuse d’un discours fort tant par leur expérience que par leur personnalité. Aussi sont-ils, par leur grande qualité artistique et par

leur pouvoir de persuasion, d’excellents

moteurs positifs pour les autres (dans le cadre de l’atelier au moins).

 

 

 

Si j’ai découvert des conditions de travail qui n’étaient pas tout à fait celles que j’imaginais et un public bien différent de celui auquel j’étais habituée. Loin d’entamer ma motivation, je m’y suis sentie plus utile que je ne l’avais jamais été, j’y ai fait des rencontres avec des personnalités qui m’ont obligée à bien des remises en causes. Sans jamais déroger à la ligne de conduite que je m’étais fixée, j’ai du apprendre à m’adapter plus que je n’avais jamais eu à le faire. Aussi j’espère, par ce rapport d’activité, démontrer s’il en était encore besoin, l’importance de l’accès à la culture pour un lien social fort qui permet tant pour l’intervenant que pour les détenus une plus grande reconnaissance de la différence de l’autre et une meilleure connaissance de soi, de ses limites, de ses qualités. S’exprimer pour se construire et non pour détruire.

 

 

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